Soutenance HDR - Laurent Dornel - 7 avril 2023

Soutenance HDR - Laurent Dornel - 7 avril 2023

Travailleurs coloniaux annamites travaillant à l'arsenal de Tarbes à la fabrication de munitions pendant la première guerre mondiale 1916 Credit:  Photo (C) Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Opérateur X
Travailleurs coloniaux annamites travaillant à l'arsenal de Tarbes à la fabrication de munitions pendant la première guerre mondiale 1916 Credit: Photo (C) Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Opérateur X

M. Laurent Dornel, maître de conférences en histoire contemporaine au laboratoire ITEM de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour,

soutiendra son Habilitation à Diriger des Recherches le vendredi 7 avril 2023 à partir de 14 heures

en Salle Chadefaud (Institut Claude Laugénie)

 

Le dossier est intitulé :

"Altérités et circulations migratoires (France impériale 1880-1920)"

Il comprend un mémoire de synthèse et un mémoire inédit intitulé Indispensables et indésirables. Les travailleurs coloniaux de la Grande Guerre

 

Le jury est composé de :

Manuela MARTINI, professeure, Université Lyon 2 (LARHRA UMR 5190)

Isabelle MERLE, directrice de recherche, CNRS (CREDO UMR 7308)

Anne RASMUSSEN, directrice d'études, EHESS (Centre Alexandre Koyré)

Philippe RYGIEL [garant], professeur, ENS de Lyon (LARHRA UMR 5190)

Emmanuelle SAADA, professeure, Columbia University (New York)

Todd SHEPARD, professeur, Johns Hopkins University (Baltimore)

Xavier VIGNA, professeur, Université Paris Nanterre (IDHES, UMR 8533)

Invitée : Isabelle LESPINET-MORET, professeure, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (CHS UMR 8058)

 

Résumé du mémoire inédit:

À partir de 1916, afin de pallier la grave pénurie de main-d'œuvre et de répondre aux exigences de l’économie de guerre, le gouvernement français décide de prendre en main non seulement le recrutement de travailleurs dans les colonies (Indochine, Afrique du Nord, Madagascar) et en Chine, mais aussi leur acheminement, leur affectation professionnelle et leur gestion quotidienne. Cette première expérience d’immigration « organisée » conduit quelque 220 000 hommes en métropole.

Pour préparer leur acclimatation au sein de l’appareil productif, les autorités françaises puisent abondamment dans les sciences coloniales et diffusent de très nombreuses notes et circulaires qui reprennent les poncifs racialistes en vogue, constituent une véritable science militaro-administrative et légitiment une tentative d’assignation raciale au travail. De leur côté, les autorités coloniales s’opposent au départ de ces hommes qu’elles considèrent comme leurs sujets avant tout définis comme des indigènes dont la vie est réglementée par l’arbitraire des codes ou des régimes de l’indigénat en vigueur dans toutes les colonies. Cette opposition, qui génère une très abondante production écrite (correspondance avec les autorités métropolitaines, rapports divers, etc.), est doublement motivée : d’une part, les prélèvements de la métropole menacent une activité économique déjà fragilisée par le manque structurel de main-d'œuvre ; d’autre part, s’exprime très tôt la peur que l’émigration de ces hommes ne les affranchisse d’une manière ou d’une autre de la férule coloniale. Mais en métropole, des voix s’élèvent aussi pour protester contre l’emploi des coloniaux : dans leur majorité, ni les entrepreneurs, ni les organisations ouvrières ni à priori « l’opinion publique » ne souhaitent l’arrivée de travailleurs perçus comme de potentiels concurrents dont la présence dans les différentes branches de l’économie de guerre risque en outre de permettre le maintien prolongé des soldats français au front. Indispensables au fonctionnement de l’économie de guerre, les travailleurs coloniaux sont dans le même temps perçus comme radicalement et ontologiquement autres et apparaissent bientôt comme des indésirables.

Les nouvelles circulations impériales, riches de puissantes contradictions, font émerger des problèmes inédits : afin d’assurer la continuité de l’autorité coloniale, comment adapter l’indigénat en métropole ? Quels dispositifs administratifs, discursifs, réglementaires ou juridiques l’administration impériale invente-t-elle alors ? Quelles sont les attitudes des travailleurs coloniaux eux-mêmes ? Parviennent-ils à s’affranchir du nouvel ordre disciplinaire établi par la métropole souvent en concertation avec les autorités coloniales ? Comment empêcher les amours interraciales qui subvertissent radicalement la domination coloniale, par essence raciale et sexuelle ? Et que faire des enfants métis qui naissent en métropole ?

Cet épisode migratoire encore peu connu, mais qui a laissé un matériau pléthorique (archives, articles, livres, etc.) est déterminant. En effet, il définit les travailleurs coloniaux comme inassimilables et indésirables, et jette ainsi sur l’immigration coloniale un discrédit durable.