AAC - La tête pense là où les pieds se posent. Sur les chemins réflexifs de jeunes doctorant.e.s entre l'Amérique Latine et la France

AAC - La tête pense là où les pieds se posent. Sur les chemins réflexifs de jeunes doctorant.e.s entre l'Amérique Latine et la France Journées d'études

Journées d’études - 29 et 30 Juin 2026
Format hybride
Université de Pau et des Pays de l’Adour - France
Universidad de Concepción - Chile

« Notre monde est un monde de flux » (Appadurai, 1999) dont la rapidité et la densité des interconnexions entre personnes et lieux définirait la nouveauté de l‘époque globale. À l'agenda contemporain figurent les circulations de biens et de personnes, les échanges politiques, sociaux et économiques, mais aussi la diffusion des idées, des idéologies, des techniques et des technologies.
Dans un monde de plus en plus interconnecté, où les frontières entre disciplines et catégories de savoir deviennent plus poreuses, il est essentiel de s’interroger sur les effets de la rencontre entre traditions épistémologiques. Ce phénomène est, dans une large mesure, la conséquence de la mobilité internationale croissante des chercheurs et de la consolidation de réseaux mondiaux de collaboration scientifique.
Ces réseaux sont essentiels pour les chercheurs et doctorants qui mènent des recherches de portée internationale et transnationale dans une perspective interdisciplinaire. Dans ce cadre, la présente invitation vise à entretenir et enrichir ces réseaux proposant une journée d'étude destinée aux doctorant.e.s latino-américain.e.s en Europe (particulièrement en France) et aux doctorant.e.s français.es en Amérique latine, menant leurs recherches dans le champ des sciences sociales et environnementales. Il s’agira de réfléchir sur nos trajectoires académiques, qui sont aussi uniques que communes, et à nos conditions concrètes de production de connaissances : comment notre nationalité, notre lieu de formation, notre institution d'accueil et nos identités influencent-elles notre activité scientifique ?

Depuis la fondation des premières universités européennes aux XIᵉ et XIIᵉ siècles, la mobilité étudiante accompagne l’histoire de l’enseignement supérieur. Au XIXᵉ siècle, une véritable mondialisation académique se met en place, portée par les migrations d’étudiants. En France, cette mobilité s’inscrit dans une tradition d’accueil libérale et dans le rayonnement culturel de Paris, attirant des jeunes issus des cinq continents (Moulinier, 2012). Motivées par des raisons diplomatiques, politiques ou culturelles, ces circulations contribuent à l’émergence d’une diplomatie universitaire sélective, dessinant une géopolitique du savoir. Comme le souligne Moulinier (2012 : 33), « la motivation du jeune voyageur peut ainsi être individuelle, nationale ou communautaire. Elle s’intègre de toute façon dans les rapports internationaux ».

À la fin des années 1970, la France restreint l’accueil des étudiants étrangers. Durant les années 1990, seuls les effectifs européens progressent, tandis que les autres reculent. Ce n’est qu’à la fin de la décennie que cette politique de fermeture commence à être remise en question. En 2008, les étudiants étrangers représentent 11,9 % des effectifs de l’enseignement supérieur, soit une hausse de 75 % depuis 1998, traduisant une évolution des politiques nationales. Leur part augmente avec le niveau d’études : 10,8 % en licence, 20,4 % en master et 39,9 % en doctorat. Les étudiants originaires des Amériques (8,2 %) privilégient les sciences humaines et littéraires (Ennafaa, Paivandi & Houzel, 2008). L’expérience des doctorants réunis pour cette journée d’études s’inscrit ainsi dans un phénomène plus vaste, illustrant les dynamiques contemporaines de la mobilité académique. Bien que les étudiants étrangers soient des acteurs majeurs du développement universitaire, de la diffusion culturelle et du rayonnement international, ils ne sont pas toujours accueillis favorablement, parfois perçus comme des concurrents (Moulinier, 2012). Les débats sur les frais d’inscription, la durée des séjours ou les stratégies d’attractivité ne sont pas nouveaux (Durant & Tronchet, 2021), mais leur convergence dans la controverse autour du dispositif « Bienvenue en France » ravive aujourd’hui la question de l’égalité d’accès à l’université.

Au-delà des difficultés d’intégration rencontrées, telles que les différences dans les connaissances disciplinaires et méthodologiques, la difficulté à maîtriser une autre langue académique et son vocabulaire spécialisé, les écarts pédagogiques dans les modes d’apprentissage et les relations avec les enseignants, ainsi que les décalages institutionnels, sociaux et culturels (Ennafaa, Paivandi & Houzel, 2008), la migration des chercheurs d’Amérique Latine vers les centres universitaires européens engendre aujourd’hui des tensions spécifiques dans leurs pratiques de production du savoir scientifique : processus de légitimation, traductions culturelles des connaissances, voire formes de fragmentation identitaire et épistémologique. Mais loin d'être un processus homogène et une histoire de simple adaptation, la mobilité académique peut enrichir, tendre ou déstabiliser les épistémologies dominantes. Dans leurs travaux de 1997 et 1999, Gaillard & Gaillard proposent de repenser la soi-disant « fuite des cerveaux »1 comme une circulation des connaissances : un phénomène ambivalent qui peut générer des opportunités, des réseaux, des conditions institutionnelles et des politiques publiques reconnaissant la valeur des connaissances transnationales. De même, Didou Aupetit & Gérard (2009) soulignent la nécessité de dépasser les points de vue alarmistes ou nationalistes sur la migration scientifique, en proposant de l'analyser comme un processus dynamique d'interdépendance où les chercheurs migrants peuvent agir comme des ponts cognitifs entre les communautés scientifiques. Or, en France, les recherches sur la mobilité académique se sont le plus souvent concentrées sur les enjeux liés à l’installation des étudiants d’ailleurs ou des visiteurs à bagage intellectuel2 en Europe. Cette journée d’études se propose de compléter la réflexion en portant attention aussi à la mobilité inverse : celle des doctorant.e.s français.e.s installés en Amérique latine, afin d’analyser leurs motivations, leurs parcours et les difficultés rencontrées. Il s’agit d’intégrer ces expériences dans une réflexion plus large sur les mobilités académiques internationales, de manière à les rendre visibles et à mieux comprendre leur rôle dans la formation des réseaux et des structures de coopération scientifique.

La phrase que Frei Betto adjudique à Paulo Freire, « la tête pense là où les pieds se posent »3, résume avec force que toute pensée est située, c'est-à-dire ancrée dans le contexte social, culturel et politique du sujet pensant. Dans la même veine, Sandra Harding (1998), dans une perspective féministe et postcoloniale, propose le concept de connaissance située, qui remet en question l'idée d'une science universelle, objective et décontextualisée. Pour Harding, la science est une pratique sociale historiquement localisée, influencée par les conditions matérielles et symboliques et l'identité du sujet de recherche (classe, sexe, nationalité, race). Cette perspective n'implique pas un relativisme absolu, mais plutôt un engagement en faveur d’une épistémologie plurielle et critique, capable de reconnaître et de légitimer d’autres manières de produire des connaissances, en particulier celles qui émergent en marge du système scientifique mondial. En ce sens, Raewyn Connell (2007) souligne que les sujets du Sud ont été historiquement délégitimés en tant que producteurs de théorie. Cette exclusion symbolique façonne les trajectoires de recherche, les sujets d’intérêt, les cadres analytiques et les modes de validation des connaissances. La nationalité et le lieu de formation influencent la manière de poser les questions et les objets de recherche. À son tour, le lieu où la science est produite est important, non seulement en raison des ressources disponibles (infrastructure, financement, réseaux de publication), mais aussi en raison des conditions symboliques : prestige, reconnaissance ou silence épistémique (Bourdieu, 2001).

Pour cette journée d’étude, nous proposons ainsi d'ouvrir un espace d'échange et d'analyse critique autour de nos pratiques interstitielles, traversées par des déplacements géographiques, des tensions identitaires et des défis de légitimation. Nous voulons nous demander :

  • Comment la mobilité académique et le franchissement des frontières épistémiques affectent-ils notre production de connaissances ?

  • Quelles relations de pouvoir sont reconfigurées ou reproduites dans ces déplacements ?

  • Quelles sont les opportunités et les défis posés par la recherche en sciences sociales et environnementales à partir d'une « identité scientifique migrante » ?

1 La « fuite des cerveaux » désigne un phénomène par lequel des personnes hautement qualifiées quittent leur pays d’origine pour s’installer à l’étranger, généralement dans des pays offrant de meilleures conditions de travail, de rémunération, de recherche ou de reconnaissance professionnelle.

2 comme les nomme Caroline Barrera, citée dans le texte de Pierre Moulinier (2012)

3 https://huelladelsur.ar/2018/11/25/paulo-freire-una-lectura-del-mundo/

Objectifs généraux de la journée :

  • Analyser de manière critique l'impact de la migration des chercheurs latino-américains et français sur la production de connaissances en sciences sociales et environnementales.

  • Réfléchir à l'influence de la nationalité, du lieu de formation et de la communauté académique d'accueil sur la légitimation des connaissances.

  • Rendre visibles les trajectoires, les tensions et les opportunités générées par la circulation académique dans des contextes inégalitaires et post-coloniaux.

  • Ouvrir un espace de prise en charge collective et de réflexion sur l'expérience doctorale des migrants : santé, affectivité, identité et bien-être académique.

  • Afin d’élargir le champ de réflexion et d’introduire une dimension comparative, une table ronde sera également organisée, en présentiel, avec des intervenant.e.s issu.e.s d’autres régions que l’Amérique latine et menant des recherches aussi bien en sciences sociales qu’en sciences exactes.

Bibliographie provisoire

  • Appadurai, A., (1999). « Mondialisation, recherche, imagination », in Revue internationale des sciences sociales, n°160, p. 257-267.

  • Bourdieu, P. (2001). Science de la science et réflexivité. Paris : Raisons d’agir.

  • Connell, R. (2007). Southern Theory: The Global Dynamics of Knowledge in Social Science. Cambridge : Polity Press.

  • De Sousa Santos, B. (2010). Epistemologías del Sur. Madrid : Akal.

  • Didou Aupetit, S., & Gérard, E. (2009). Fuga de cerebros, movilidad académica y redes científicas. México : ANUIES - UNESCO-IESALC.

  • Durand, A. et Tronchet, G. (2021). « L’accueil des étudiants étrangers : des dissensus historiques », in Plein droit, 130(3), 11-14. En ligne : https://doi.org/10.3917/pld.130.0013

  • Ennafaa R., Paivandi S., Houzel G. (2008). Les étudiants étrangers en France : enquête sur les projets, les parcours et les conditions de vie réalisée pour l'Observatoire national de la vie étudiante. Collection Panorama des savoirs, La Documentation française.

  • Gaillard, A. M., & Gaillard, J. (1999). Enjeux des migrations scientifiques internationales. Paris : Éditions de l’ORSTOM.

  • Ghorra-Gobin, C. (2017). «Notion en débat : mondialisation et globalisation». Document. Géoconfluences. École normale supérieure de Lyon. En ligne : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/mondialisation-globalisation

  • Harding, S. (1998). Is Science Multicultural? Postcolonialisms, Feminisms, and Epistemologies. Bloomington : Indiana University Press.

  • Haraway, D. (1988). « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », in Feminist Studies, 14(3), 575–599. En ligne : https://doi.org/10.2307/3178066

  • Mignolo, W. D. (2005). La idea de América Latina. Barcelona : Gedisa.

  • Moulinier, P. (2012). Les étudiants étrangers à Paris au XIXe siècle. Presses universitaires de Rennes. En ligne : https://doi-org.rproxy.univ-pau.fr/10.4000/books.pur.132642

  • Prakash, G. (2000). « Les lieux de production du discours savant », in L’Homme, 156. En ligne : http://journals.openedition.org/lhomme/82; DOI : 10.4000/lhomme.82

Organisation et déroulement de la journée d’études doctorales
Cette journée d’études doctorales se tiendra les 29 et 30 juin 2026 en modalité hybride. Les participant.e.s résidant en France pourront y assister en présentiel à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), sur le campus de Pau, tandis que les participant.e.s d’Amérique latine pourront se réunir à l’Universidad de Concepción, au Chili. L’événement sera organisé sur deux demi-journées, programmées l’après-midi pour la France et le matin pour l’Amérique latine, afin de limiter les contraintes liées au décalage horaire. Les participant.e.s auront également la possibilité de suivre les sessions à distance, via visioconférence.

La première demi-journée s’ouvrira par une présentation des organisateurs, suivie d’une conférence inaugurale donnée par un.e chercheur.e confirmé.e. Les doctorant.e.s seront ensuite invité.e.s à présenter une réflexion sur leurs trajectoires académiques et sur les conditions spécifiques de leur travail, en mettant en lumière les enjeux que celles-ci soulèvent pour leurs recherches et en proposant des éléments de réponse aux questions formulées dans le texte de l’appel. Les communications auront une durée de 20 minutes et seront accompagnées d’un poster (sans support PowerPoint), affiché dans la salle pour les participant.e.s en présentiel et diffusé au format PDF pour celles et ceux à distance. Les propositions de communication seront regroupées par thématiques afin de structurer le programme scientifique. Chaque session sera suivie d’un temps d’échanges collectifs, destiné à nourrir les discussions, susciter des questions et encourager des réflexions interdisciplinaires autour des travaux présentés.

En complément des deux demi-journées, une table ronde sera organisée le matin du 30 juin 2026, à destination des doctorant.e.s présents à l’Université. Elle débutera par un tour de présentation des participant.e.s, suivi de trois séquences de discussion, chacune articulée autour d’une question commune et des réponses apportées par les intervenant.e.s. La rencontre se conclura par un temps d’échanges avec le public et un moment de débat collectif.

Modalités de contribution
Les propositions de communication sont à envoyer à trajectoiresreflexives@gmail.com avant le 15 février 2026.

Les propositions devront comporter les éléments suivants :

  • En cas de communication (exposition l’après-midi) : nom et prénom, institution de rattachement, adresse électronique, titre de la communication, résumé (350 mots) et courte notice biobibliographique.

  • En cas de participation à la table ronde : nom et prénom, institution de rattachement, adresse électronique, brève présentation de l’intérêt porté au thème de la journée d’études, ainsi qu’une courte notice biobibliographique.

Le comité d’organisation donnera sa réponse au plus tard fin février 2026.
Détails pratiques : Les langues de communication seront l’espagnol, le français, l’anglais et le portugais. Notre budget étant limité, nous ne pourrons pas prendre en charge les frais de déplacement des participants. En revanche, nous assurerons le repas de midi le 30 juin, et les pauses café. Une publication des contributions validées par un comité éditorial ainsi que l’enregistrement des présentations est prévu.

Comité d’organisation :

  • Maria Magdalena Garbagnoli, doctorante en anthropologie/ethnologie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en France et l’Euskal Herriko Unibertisitatea (EHU - Université du Pays Basque) en Espagne, rattachée au laboratoire ITEM (Identités, Territoires, Expressions, Mobilités).

  • Susana Paula Zuñiga Armijo, doctorante en géographie à Université de Pau et des Pays de l’Adour en France et Universidad de Concepción de Chile, rattachée au laboratoire TREE (Transitions énergétiques et environnementales)

  • Clara Paez, doctorante en géographie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en France, rattachée au laboratoire TREE (Transitions énergétiques et environnementales)

  • Amandine Leporc, doctorante en anthropologie/ethnologie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en France et Universitaria de Vest din Timisoara en Roumanie, rattachée au laboratoire ITEM (Identités, Territoires, Expressions, Mobilités)

  • Maxime Joseph Marasse, doctorant en anthropologie sociale à l’Escuela Interdisciplinaria de Altos estudios Sociales (EIADES) de l’Universidad Nacional de San Martin (UNSAM) en Argentine