Jeudi d'ITEM - Jérôme Jambu - 24 novembre 2022

La souveraineté monétaire en question dans les Antilles françaises

(XVIIe-XIXe siècles)

par Jérôme Jambu, Maître de conférences/HDR en histoire moderne à l’IRHIS (Université de Lille)

La monétarisation des échanges au sein des colonies françaises établies dans les îles des Antilles paraît de prime abord limitée et complexe. C’est d’abord la conséquence de la politique économique et financière du pouvoir central qui limite ses envois en numéraire au strict nécessaire (solde des troupes, construction et entretien des fortifications et de la flotte, etc.) et qui, longtemps pétri de mercantilisme et de bullionisme, y interdit toute exportation d’espèces. C’est aussi le résultat des échanges avec la métropole qui, lorsqu’ils sont au bénéfice de celle-ci, en retire des pièces d’or et d’argent en règlement des produits importés du Vieux Continent. Enfin, l’état de guerre récurrent sur cette façade de l’océan Atlantique accuserait le phénomène de fuite des espèces (course, blocus, recherche de nouveaux fournisseurs et augmentation des prix).

 

Si bien que les Français qui y sont établis doivent importer de la monnaie en fraude par rupture du monopole commercial et recourent ainsi aux monnaies étrangères des empires coloniaux producteurs voisins, l’Espagne et le Portugal. Il faut également, parfois, inventer et diffuser des moyens de paiement alternatifs à la monnaie traditionnelle, toujours trop rare pour satisfaire la totalité des échanges et qui peut présenter un pouvoir libératoire inadapté. D’autant qu’il est officiellement interdit de produire de la monnaie sur place, le droit régalien de battre monnaie étant jalousement réservé à l’hexagone. Ces monnaies étrangères ou nouvelles, parcellaires ou fiduciaires, font dès lors leur expérience avec des succès différents : piastres espagnoles et moëdes portugaises ; billets du Trésor colonial à Saint-Domingue et en Martinique ; flans monétaires de récupération en billon dont la valeur est augmentée au temps de la guerre d’Indépendance américaine ; pièces d’argent américano-espagnoles découpées artisanalement en mocos et renchéries ; etc.

 

En la matière, les autorités locales font preuve d’une grande imagination et sont à l’initiative, de concert avec les colons. Elles doivent cependant justifier leurs choix auprès d’un pouvoir central sceptique quand il n’est pas réticent. Essayant de pallier ses manques, voire de contrecarrer ce qu’il considère comme des solutions empruntes d’un certain esprit d’indépendance, celui-ci répond par des créations d’espèces spécifiques, corrige le prix de celles qui circulent, voire interdit des pratiques monétaires qui lui échappent. Mais c’est, au final, les usagers et la pratique locale qui font la crédibilité de la « monnaie coloniale » et lui permet de circuler. La souveraineté, en la matière, échappe souvent à l’état.

 

Conférence accessible à distance via TEAMS (sous réserve): Cliquez ici pour participer à la réunion

Ou en présentiel à l'Université de Pau et des Pays de l’Adour - Bâtiment DEG, salle D18 (accès du côté des Écoles doctorales)

16h00-17h30